Special report: Paris Colloquium 2005, Agir pour apprendre
Opening Plenary
Christian Puren ou La nouvelle "perspective actionnelle" du Cadre européen commun de référence à la lumière de l'évolution historique des "entrées" en didactique des langues-cultures.
By Kathy Giannini
C'est l'inévitable. Confronté par la masse de savoir que représente une langue étrangère, un professeur est bien obligé de proposer à ses élèves une leçon. Mais qu'est-ce qui fait l'unité de cette leçon ? Parmi les aspects multiples d'une langue étrangère, lequel fera l'affaire : les quatre compétences (s'exprimer et comprendre à l'oral et à l'écrit) ? la grammaire ? le lexique ? la phonie/graphie ? la culture ?
Christian Puren commence sa présentation en s'adressant à ce problème de « principe de découpage » auquel il rajoute le « principe de chaînage » qui dicte l'ordre des leçons. Il identifie cinq principes potentiels qui ont été utilisés à tour de rôle :
la grammaire, le lexique, la culture, la communication, et l'action.
Selon Puren, tous ces domaines hétérogènes sont présents dans un manuel de langue, mais il va toujours y en avoir un qui est sélectionné comme
principe de découpage, ce qui va déterminer l'organisation du manuel. En didactique des langues, ce principe de découpage s'appelle une entrée.
L'entrée d'un manuel est le plus souvent signalée par son titre et ceux de ses unités. Un exemple du XIXème siècle cité par Puren s'appelle
Nouvelle Grammaire Espagnole (Heidelberg-Paris, Groos Editeur, 2e édition, 1882) qui affiche de façon évidente l'entrée grammaticale qui organise son contenu. Les titres des unités de ce manuel montre une progression également grammaticale en commençant par « Leçon 1: De l'article » suivi de « Du pluriel des substantifs ». Cette même méthode s'appliquait à une diversité des langues, y compris le serbo-croate, et était très diffusée. La grammaire comme domaine privilégié dans l'apprentissage des langues était tellement ancrée dans certains esprits que le manuel de langue en Italie s'appelait toujours une
grammatica jusque dans les années cinquante.
Par contre, en France, Puren indique un basculement vers le lexical en 1890 en citant des instructions officielles : « La première chose à donner à l'élève, ce sont les éléments de la langue, c'est-à-dire les mots». La maîtrise d'une langue étrangère est conçue comme une capacité de traduire à partir de la langue maternelle et se caractérise par un thème oral instantané. Ces instructions de 1890 insistent aussi sur l'importance d'utiliser les « objets que l'élève a sous les yeux » allant, comme Puren n'a pas hésité à remarquer, « du paradigme indirect » que constitue une approche grammaticale « au paradigme direct » où la salle de cours est traité comme une « sorte de carrière » ou « source de nomination ».
L'adoption du lexique comme entrée pose néanmoins un problème d'étendue et, après les premières leçons sur les objets concrets présents dans la salle de cours, il faut trouver un principe de découpage pour définir le contenu de chacune des unités suivantes. Ce principe se trouve au sein du lexique même : le thème lexical. Puren cite un manuel des années 1900 dont les titres de leçons révèlent ces regroupements du vocabulaire par thèmes : « La cour », « La maison », et plus loin, « Le jardin potager », « Le marché ».
Bien plus tard, dans les années cinquante, la parution du « Mauger bleu » va reléguer ces deux entrées grammaticale et lexicale à des « entrées de service » pour privilégier une troisième : l'entrée par la civilisation, ce qui est clairement indiqué par le titre réel de ce manuel,
Cours de langue et de civilisation françaises. L'extrait choisi par Puren montre un personnage « type » français : M. Vincent, en train de faire sa toilette. L'apprenant voit une illustration de ce monsieur typique devant un miroir dans sa salle de bain et il lit un texte à la 3e personne singulier. Ce n'est plus la simple description d'une salle de bain mais un récit sur un personnage représentatif qui se réveille, se lève, se savonne, se lave, s'essuie et se rase.
Mais chacun de ces verbes réfléchis est soigneusement
encadré, ce qui maintient l'aspect grammatical, et chaque nouvel objet – savon, serviette, rasoir électrique – est systématiquement
numéroté (suivi d'un chiffre en crochets) et associé à son image dessinée, ce qui maintient également le domaine lexical. Par ailleurs, une amorce de dialogue tout à la fin du texte annonce l'entrée par la situation qui va trouver toute son ampleur dans la méthode audiovisuelle.
A côté de cette entrée par la civilisation se trouve une entrée par la culture qui est davantage littéraire, prenant comme principe de découpage le texte lui-même. A partir du texte unique, l'enseignant fait travailler la grammaire, le lexique et les quatre compétences. Un manuel de Puren lui-même,
Que Pasa ? (1992), montre cet enseignement organisé par les textes avec des dossiers intitulés « Juventud » ou « Fiestas » qui regroupent des textes sur un même thème. Puren remarque cette approche semble particulièrement bien implantée dans l'enseignement de l'espagnol comme langue étrangère tandis qu'en France, la didactique prend une nouvelle direction.
C'est le CREDIF qui choisit une nouvelle entrée : la situation. Dans les manuels tels que
Passport to English et
Voix et Images de France, dit Puren, « les mêmes personnes parlent des mêmes choses dans les mêmes endroits ». Mais c'est le
lieu qui fonctionne la plupart du temps comme principe de découpage dans cette nouvelle approche dite communicative. Pour le prouver, Puren nous montre des titres de leçons du manuel
Voix et Images de France et il est clair que le lieu est souvent choisi comme principe d'unicité : A la poste, Au café, A l'hôtel, Au restaurant. Dans chacun de ces lieux, un dialogue de base constitue le support souvent comportant un lexique thématique suggéré par le lieu choisi.
D'autres titres de leçons de
Voix et Images de France renvoient, par contre, à des actions à la place des lieux : « En rangeant l'armoire » ou « Mme Thibaut fait ses courses ». Ces titres anticipent de ce fait l'approche actionnelle préconisée par le Conseil de l'Europe : l'unité didactique est une unité de l'action. Ce qui est recherché est l'
action commune. Elle dépasse la simple communication. Elle
détermine la communication. Et Puren cite Jacques Demorgon (
Etudes de Linguistique Appliqué, N° 140, 2005 ) : « Une compréhension ne peut être obtenue qu'à travers un
laborieux travail non seulement d'ordre communicatif mais surtout coopératif et même compétitif, reposant sur l'effectivité des interactions avec autrui et l'accompagnant de la possibilité de contestations mutuelles. »
Comme illustration, Puren nous donne l'exemple d'un voyage. Tant qu'on ne fait que de parler du voyage, on communique avec l'autre mais on n'a pas de conceptions communes. Par exemple, qu'est-ce que c'est un voyage ? Quel est son objet ? Si on « passe la nuit à la belle étoile sous une averse tropicale », est-ce un bon souvenir ou un mauvais ? Il faut passer par l'expérience pour le savoir et pour véritablement connaître l'autre.
Cette approche actionnelle va, donc, avoir des conséquences sur l'élément culturel. Au lieu d'une modification de conception chez l'apprenant, l'objectif visé sera des conceptions communes entre l'apprenant et les usagers de la langue qu'il essaie d'apprendre. L'apprenant ne va plus faire semblant d'être usager dans une simulation comme il faisait avec l'approche communicative. Il faut, donc, faire la distinction entre « la tâche » (l'agir d'apprentissage), d'un côté, et « action » (l'agir social), de l'autre. Il faut aussi dépasser l'orientation communicative de la tâche dans le
task-based learning des Anglo-saxons pour reconnaître d'autres orientations où une tâche peut être autre chose: processus, produit, procédure...
Il ne faut pas être intimidé par cette « nouvelle » approche actionnelle. Elle n'est pas si nouvelle que cela, Puren nous assure. Elle est présente dans les classes européennes depuis des années dans la mesure où des lycéens apprennent une autre matière dans la langue étrangère. Un autre exemple se trouve au sein des écoles primaires avec l'anglais précoce et l'accent mis sur les activités.
Il ne faut pas non plus délaisser les autres « entrées » : la grammaire, le lexique, la culture, et la communication. Il faut plutôt se réjouir d'avoir une entrée de plus dans la panoplie des moyens didactiques disponible et d'en disposer avec jugement et souplesse d'esprit.
Contribué par : Kathy Giannini
RSA/CAPES
Académie de Grenoble
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